Je cherchais une image.
Je me prépare à voir passer le printemps depuis ma fenêtre. Les arbres se couvrent déjà de feuilles et, si tout se passe bien, des fleurs devraient pouvoir bien pousser à leur pied. Cela ne devrait pas être si différent, l’air vif, le soleil et le mouvement en moins, du spectacle d’une mer toujours identique lors d’une croisière.
Je suis privilégié pour plein de raisons. Je n’ai notamment pas à prendre de risque et j’ai même l’obligation de ne pas le faire. Obligation tant décrétée par le gouvernement que morale, éthique : aplatir la courbe, ne pas encombrer les sections COVID des hôpitaux, soit personnellement, soit en contaminant d’autres personnes. Tu te rappelles ce que Yuval Noah Harari a écrit sur le pouvoir des mots dans les sociétés humaines pour coopérer ? Nous n’en avons jamais eu une telle démonstration.
Plein de gens rêvent de croisières. Voilà que nous devons tous en faire une. Enfin… pas tous. Pas celles et ceux qui sont sur le front, qui ont leur corps d’engagé, qui doivent sortir, prendre des risque, s’exposer. Eux ils vivent plutôt l’enfer. Mais pour les autres, pour peu que la cohabitation se passe bien, qu’il n’y ait pas de question financière, nous sommes dans cette croisière. Un voyage dans notre cabine. Avec les humains qu’on s’est plus ou moins choisi. Le mal de mer en moins. Et, par le pouvoir du crâne ancestral d’Internet, tout la culture du monde à portée de main. Et des bonnes ou mauvaises nouvelles qui arrivent et l’impossibilité de quitter le rafiot pour faire quoi que ce soit.
Il y a une relation entre l’espace et le temps ? Là, c’est le temps qui défile. Lentement. Ou pas. Selon son état d’esprit. Ses occupations.
Je ne sais pas si on voyage vers soi aussi, si on se découvre, si on découvre les personnes avec qui on partage la cabine, si on approfondit les relations. Mais on crée de nouvelles choses.
Les semaines s’écoulent et on s’adapte. Globalement, nous nous sommes même adaptés très rapidement je trouve.
Au bout de quelques semaines, les adaptations deviennent des routines, des items culturels, adaptés à sa propre vie, à son propre lieu de confinement, à sa propre Base À Défense d’entrer et de sortir. Chacun aura de nouvelles habitues. De nouvelles cultures ? Certaines éléments perdureront, d’autres non. Ou peut-être qu’on reprendra juste nos vies, pour ceux qui auront survécu, comme s’il ne s’était rien passé ? Juste avec nos traumatismes ? Avec ce qui ce sera passé dans nos lieux de confinement ? Avec les deuils qui n’auront pas pu être faits « normalement » ?
Cette croisière n’est certainement pas celle du love boat mais elle sera certainement pleine d’histoires à raconter après. Et il est important que ce ne soit pas l’agence de voyage qui les raconte si on veut garder leurs diversités.