Franck Ménigou m’a conseillé la lecture de l’article L’homme est-il végétarien par nature ?, de Julien Venesson. Il a aussi été publié sur le site Santé Nature Innovation. J’indique les deux liens car les commentaires sous les articles sont intéressants.
Un article sur la nutrition, le végétalisme, les viandes les poissons… très intéressant :) http://t.co/KKRwcHAjME cc @pcouzon
— Franck Ménigou (@franckmen) August 26, 2015
Jean-Marc Dupuis, l’auteur du Santé Nature Innovation, nous le présente comme nutritionniste. Sur son site web, Julien Venesson dit qu’il est journaliste / consultant / formateur professionnel en nutrition agréé. Il indique qu’ « travaille de concert avec des entreprises compétentes dans l’élaboration, l’optimisation ou le conseil dans le domaine des compléments alimentaires« . Enfin, Julien Venesson est l’auteur d’un livre sur le régime paléo. Sur ce régime, vous pouvez lire la fiche Wikipédia du régime Seignalet, je n’ai pas trouvé de fiche Wikipedia sur le régime paléo propre.
Le régime paléo et le mode de vie frugivore sont un peu les frères ennemis de l’alimentation. Ils sont d’accord sur l’alimentation industrielle mais diffèrent sur le rapport aux animaux et donc à l’utilisation de leur chair.
Que dit l’article ? Il pose bien le débat :
On peut maintenant lire sur certains sites Internet, notamment crudivores, que l’être humain est végétarien par nature. Ce point est intéressant car, s’il est juste, cela signifie que nous devons tous devenir végétariens pour avoir une santé optimale. Mais si c’est faux, cela veut dire qu’il y a des éléments absolument essentiels à connaître pour vivre une alimentation végétarienne tout en préservant sa santé.
Moi-même, j’ai déjà pu défendre ce végétarianisme par nature lors du bilan de ma première année. Quant à s’informer, je pense que dans les deux cas, que l’homme soit végétarien ou pas par nature, il faut le faire. La chaîne Bite Size Vegan est par exemple très intéressante pour ça ;-)
LE RAPPORT CAMPBELL
La première partie de l’article s’attaque au rapport Campbell :
« Le Pr Campbell n’a jamais publié son étude détaillée dans une revue scientifique. On n’en trouve qu’un petit résumé partiel. Cela signifie qu’il s’est soustrait à une analyse scientifique de son travail en publiant un simple livre directement pour le grand public.«
L’avantage de la publication sous forme de livre – et parce que l’étude a un certain succès – et pas sous forme de publication confidentielle, c’est justement que The China Study soit largement commentée… y compris par d’autres scientifiques.
« La démarche est financièrement beaucoup plus intéressante, mais elle est peu utile pour le bien de l’humanité car, pour qu’une notion s’impose dans le domaine de la nutrition, il faut avant tout qu’elle soit reconnue par l’ensemble de la communauté scientifique. »
Je vais loler un peu et je reviens.
Voilà, c’est fait. On est dans la pique vacharde, le sophisme. Je ne vais pas m’étendre là-dessus ;-)
« le Pr Campbell lui-même reconnaît que son étude établit des liens entre des variables qui n’ont peut-être rien à voir entre elles.«
Soit. Tout est dans le « peut-être ». Il suffit de critiquer, donc, de reprendre les travaux et de vérifier.
FRUGIVORES
Après avoir fait un sort par l’humour à Campbell, Julien Venesson s’attaque donc à la génétique. C’est en effet un point essentiel.
« De nombreux sites Internet affirment haut et fort que nous sommes frugivores. Pour finir de convaincre, ils présentent différents tableaux d’anatomie comparée entre les carnivores, les herbivores, les singes et l’homme. On peut y lire par exemple que la longueur de notre intestin ou que notre dentition sont comparables à celles du singe, donc que nous devrions manger comme lui, c’est-à-dire uniquement des légumes, des fruits et quelques noix. Pourtant, lorsqu’on recherche des sources sérieuses de ces affirmations dans les livres de science, impossible d’en trouver les preuves ! (…) En fait, contrairement à une idée reçue, le chimpanzé n’est pas végétalien, il est omnivore. Les chercheurs expliquent que quand il vit librement dans la nature, le chimpanzé « consomme en moyenne 65 gr de viande par jour pour un adulte », principalement obtenue par la chasse (petits singes, termites) »
Si cela vous intéresse, vous pourrez trouver l’un de ces tableaux de comparaison sur le site de Pauline. Ce qui est intéressant, là, c’est que Julien Venesson ne critique pas la ressemblance entre l’homme et le chimpanzé mais le régime alimentaire du chimpanzé. Oui, la comparaison est validée ! Comparaison est raison, hommes et chimpanzés ont le même régime alimentaire.
Je n’ai pas lu les études dont il est question :
Cependant, on peut imaginer que, comme l’homme, le chimpanzé est capable d’un certaine résistance aux produits toxiques pour survivre. L’une des deux études parle d’ailleurs de stratégie dans son titre.
Que le chimpanzé mange de la viande ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse d’un régime optimal pour lui. On ne peut se nourrir que de fruits et de feuilles que si celles-ci sont en abondance pour couvrir l’ensemble de ses apports.
Le chimpanzé, contrairement à l’homme du XXIème siècle, n’a pas les moyens d’importer des aliments de tous les coins de la planète. L’auteur du billet est d’ailleurs d’accord avec l’importance de la géolocalisation des individus pour se nourrir :
« Au fil du temps, (…) nous avons consommé des quantités de produits animaux de plus en plus importantes, en particulier pendant l’hiver où la disponibilité des végétaux est faible vers le nord. »
Ce n’est donc pas notre intestin qui est en question mais le milieu où nous sommes à un moment donné. Ce qui est vrai pour l’homme est donc aussi vrai pour le chimpanzé.
OMNIVORES ?
Julien Venesson envisage différentes hypothèses pour dire que l’homme est omnivore :
« L’homme est dépendant des apports en acides gras oméga-3 à chaînes longues (EPA et DHA) qu’on ne retrouve que dans les graisses animales. Le DHA, en particulier, est vital pour le bon développement du cerveau de l’enfant pendant la grossesse et pour la santé de ses yeux. »
Comme Google est mon ami, j’ai fait une toute petite recherche sur les oméga-3 à chaînes longues et ai trouvé un communiqué de l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (le truc très très sérieux, avec plein de validations de scientifiques) qui nous dit qu’on en trouve dans les algues marines cultivées. C’est peut-être un truc qui nous différencie des chimpanzés : nous sommes capables de cultiver des algues ;-)
La taurine ? « Les études menées sur des populations végétaliennes révèlent des niveaux de taurine anormalement bas qui pourraient accélérer le vieillissement, impacter le système cardiovasculaire et surtout ralentir l’adaptation des muscles à l’exercice physique. » Il y a beaucoup trop de conditionnel à mon goût. Les taux de taurine sont plus bas chez les végétaliens que dans le reste de la population mais on trouve aussi des études qui montrent que les végétaliens vivent plus longtemps, en meilleure santé (j’y reviens plus loin) que les personnes qui mangent de la viande… et les cas d’athlètes végés sont nombreux. Pierre explique sur son site comment il est devenu végé pour des raisons sportives.
Poursuivons les raisons avancées par Julien Venesson pour démontrer l’omnivorisme supposé des humains :
« L’homme est également dépendant des apports alimentaires en vitamine B12 alors que les herbivores comme les moutons peuvent la synthétiser dans leur organisme à partir du cobalt. »
Ah, la B12 ! Donc, oui, dans nos conditions de vies modernes, où nous lavons nos aliments, l’homme n’a plus accès à la B12… mais les autres animaux non plus ! On donne de la B12 aux animaux qui sont élévés pour la consommation humaine. La B12 est obtenue par fermentation bactérienne.
Les végétaliens prennent de la B12 sous forme d’injection ou de comprimés / gélules. Sur le site Un monde vegan, on en trouve à 6€ pour 3 mois. On en trouve aussi en parapharmie, pharmacie, magasins vegans (à Toulouse, le Cri de la Carotte), etc. Les végétaliens qui prennent de la B12 quotidiennement ne peuvent pas être en carence.
La voie des carnistes pour prendre de la B12 est de produire de la B12, d’élever un animal, de donner de la B12 à l’animal puis de le tuer pour le manger. La méthode est moins rationnelle que celle des végétaliens et, en plus, on peut aussi être en carence de B12 en mangeant de la viande. A quand remonte votre dernière analyse de sang pour vérifier ? ;-)
« L’être humain est capable de synthétiser la créatine dans son organisme, une substance nécessaire pour fournir de l’énergie aux muscles lors des efforts de courte durée et de haute intensité. Mais on estime aujourd’hui que cette substance est semi-essentielle : pour couvrir nos besoins, 50 % de la créatine doit être apporté par l’alimentation. »
Que dit Wikipédia ? « La créatine est naturellement produite ou synthétisée dans le corps humain à partir de certains acides aminés (glycine, arginine) et méthionine dans le foie, le pancréas et les reins. (…) des aliments végétaux riches en ces acides aminés permettent à l’organisme d’en synthétiser des quantités suffisantes. » Il faut donc manger de manière suffisante. Wikipédia cite bien une étude montrant que des végétaliens et des non-végétaliens ont des niveaux différents de créatine… mais elle a été faite sur « 18 végétariens et 24 omnivores ». Pas sûr que ce soit très représentatif.
LE BIAIS VEGAN
Après avoir donc prouvé que l’homme était aussi végé que le singe, Julien Venesson s’attaque donc à la grande question : pourquoi les végés sont-ils en meilleure santé que le reste de la population ? Cette partie est très drôle. L’auteur essaye de montrer que si les végétaliens sont en bonne santé, ce n’est pas à cause de leur régime alimentaire, mais parce qu’ils font attention à ce qu’ils mangent. Oui, il y a nuance, je le reconnais. Mais, ce n’est pas sympa pour les mouches.
Julien Venesson décrit les études :
« Les études qui visent à observer la santé des végétariens se déroulent comme suit : pour commencer, les chercheurs recrutent un très grand panel d’omnivores et de végétariens (…) Au bout de plusieurs années, ils essayent d’éliminer les facteurs dits « confondants » qui peuvent fausser les résultats. Exemple de facteur confondant : un participant qui vit dans une région ensoleillée reçoit plus de vitamine D que quelqu’un qui vit dans une région nordique, ce qui lui confère naturellement des bienfaits sur sa santé osseuse.«
Pour la vitamine D, je comprends. Pour les autres biais introduits par Julien Venesson, moins…
- « Les végétariens sont des personnes particulièrement conscientes de leur santé. (…) Il s’agit d’un biais très important. »
- « comme les végétariens mangent moins de produits animaux, ils mangent plus de végétaux dont on connaît bien les bienfaits pour la santé. Il s’agit là aussi d’un biais très difficile à éliminer. »
- « La viande consommée aujourd’hui par les omnivores est fréquemment transformée (charcuteries, plats préparés) et contient donc beaucoup de sel et de produits néfastes (additifs toxiques).«
- « La viande consommée par les omnivores est majoritairement issue d’élevages intensifs dans lesquels les animaux sont bourrés d’antibiotiques et nourris aux céréales riches en acides gras oméga-6 inflammatoires, comme l’acide arachidonique, qui augmentent nettement le risque de cancer et de maladies cardiaques.«
Conclusion de l’auteur : « ces avantages du régime végétarien ne tiennent pas à l’absence en soi de viande, mais à l’absence des produits nocifs en général associés à la viande, ainsi qu’à la mauvaise qualité de la viande actuellement consommée. »
Si je n’étais pas déjà végétalien, à cette lecture, je le deviendrais. Si la consommation viande n’apporte rien – et, en plus, est néfaste – et que les végétaux sont meilleurs pourquoi je me torturerais la tête (en plus des animaux), à vouloir manger de la viande ?!
L’auteur rêve de l’alimentation d’avant l’invention de l’agriculture, quand les mammouths et les bisons parcouraient l’Europe et l’Amérique du Nord. Ce monde n’existe plus mais, sincèrement, banco, on dit que tous les animaux sont libres, on met fin à leur propriété. On détruit les barrières des enclos, les murs des usines à viande. On rend leur liberté aux vaches, taureaux, chevaux, moutons, chèvres. On supprime les abattoirs. On interdit même la possession de chats et de chiens. Dans ces conditions, je trouverais même la chasse – avec interdiction de faire commerce de qui a été chassé – une contrepartie acceptable pour ceux qui veulent vraiment manger de la viande. Chiche ?
LE GLUTEN
Une étude montrerait que les végés ont « plus de risques de maladies auto-immunes de la glande thyroïde » (la référence est : Serena Tonstad, Edward Nathan, Keiji Oda, Gary Fraser. Vegan Diets and Hypothyroidism. Nutrients. Nov 2013; 5(11): 4642–4652). Julien Venesson l’explique ainsi :
« les végétariens et les végétaliens ont tendance à manger beaucoup plus de céréales riches en gluten, qui transforme l’intestin en passoire et joue le rôle de déclencheur des maladies auto-immunes. »
Pour le coup, le gluten est un vrai problème. Il ne concerne d’ailleurs pas que les végétariens. On trouve de plus en plus de produits – y compris des pâtes -sans gluten. Il faut aller vers cela. Mais, du coup, cela ne fait que renforcer les frugivores et crudivores : plus on mange de fruits, moins on mange de céréales avec du gluten ;-)
LE POISSON
Là, je laisse parler Julien Venesson :
la pollution grandissante des océans et la consommation de plus en plus forte de poissons d’élevage, bourrés d’antibiotiques, entassés dans des bassins sans pouvoir nager et nourris avec des farines, annonce d’ores et déjà le résultat des prochaines études à venir sur le végétarisme : le régime alimentaire végétarien va apparaître de plus en plus sain dans les études scientifiques au fil des année
Encore le biais vegan…
GO VEGAN !
Après avoir promu la consommation de chair bio, l’auteur a un passage étonnant :
Si vous éprouvez de réelles difficultés financières, adopter une alimentation végétarienne est une bonne solution ; à condition de limiter fortement votre consommation de céréales contenant du gluten et de produits laitiers afin de vous protéger des maladies chroniques non mortelles comme les maladies auto-immunes, l’arthrose et bien d’autres.
Il reconnait qu’être végé est économique et pointe le gluten et les produits laitiers. What else ?
« Qui peut cautionner le système d’élevage moderne des porcs, des vaches et des poules dans des conditions inacceptables, et l’abattage dans des conditions immorales ? Qui peut donc cautionner ce système qui ne respecte pas la vie et qui met ensuite à notre disposition des viandes toxiques ? Quel que soit notre régime alimentaire, cela devrait nous révolter.«
Qui cautionne ? Au moins le ministre de l’Agriculture français. Mais, surtout, nous tous qui consommons dans ce système alors que nous pourrions trouver d’autres solutions. Je m’inclus dedans car j’ai longtemps consommé de la viande. Les végés – et notamment les crudivores / frugivores / raw vegan, bref High Carb Low Fat – montrent qu’il est possible de faire autrement.
En matière d’alimentation, chacun son chemin mais je me dis que Julien Venesson n’est finalement pas très loin de nous recommander de manger 30 bananes par jour. Un paléo serait il un végé qui s’ignore ? ;-)