Cette semaine, deux étudiantes étaient surprises que j’utilise nombre de services web, réseaux sociaux et que j’ai mémorisé les adresses. Cette interrogation m’interpelle. Pourquoi est-ce que j’apprécie mes bidouillieries et que cela parle si peu à ces « Digital Natives » ?
Je viens d’un monde où l’information était rare. Pensez, il y avait des gens qui vendaient des encyclopédies qui ne faisaient que quelques volumes. Au moment où j’écris la version française – et seulement elle ! – de Wikipédia représente 517 volumes de l’Encyclopædia Britannica. Vous pouvez retrouver d’autres statistiques ici mais, c’est toujours utile de le préciser, Wikipédia n’est qu’une petite partie du Net.
Je viens d’un monde où il fallait attendre le facteur pour recevoir des nouvelles, les journaux, où il était possible d’avoir lu tout le rayon Bande Dessinée de la bibliothèque municipale.
Je viens d’un monde où on se connectait pour télécharger ses mails et on se déconnectait après. On ne les lisait pas en ligne ! Même si le Net était déjà potentiellement illimité, la connexion ne l’était pas. Chaque octet téléchargé, c’était du temps, donc de l’argent.
Je me souviens d’ailleurs de mon entretien d’embauche chez Infonie, un fournisseur d’accès à Internet, en 1998. C’était un entretien collectif et, à un moment, la responsable RH a dû s’absenter. Nous avons tous été sur le PC qui était là en libre service et nous avons fait des pings. Nous découvrions tous la fibre optique – de la vitesse et une connexion permanente-, et c’était sans doute le meilleur argument pour nous faire rester.
Le jour de cet entretien, je ne connaissais pas encore Google. Accéder à une information était encore compliqué. Il était plus efficace de bookmarker, de taper directement une URL, et donc de la connaître.
Et puis vinrent les forfaits Internet, l’ADSL (en France, Free, donc) et des coûts de connexion toujours en chute. L’Internet a continué de croître. Il y a eu des services toujours plus nombreux. Certains ont prospéré avant de s’éteindre. Je pense à Caramail, Posterous, Google Waves, Echofon, Google Reader, pour les plus connus et regrettés… Certains ont survécu mais sont sortis de la conscience collective : ICQ, Delicious. On pourrait écrire des pages et, sans doute que sur Wikipédia, une telle page existe ou existera.
En décembre 2011, on pouvait lire dans Le Figaro :
« l’humanité a créé plus d’informations au cours des deux dernières années que pendant toute son histoire.«
En décembre 2012, on pouvait lire dans Libé :
« L’humanité produit autant d’informations en deux jours qu’elle ne l’a fait en deux millions d’années.«
Je ne sais pas ce qu’il en est maintenant mais cela s’accélère. Des gens qui viennent du même monde que moi ont pu parler d' »infobésité », comme si nous pouvions avoir trop d’information, comme si notre monde pouvait être trop intelligent.
Dans notre monde, l’information est là, présente en permanence, tout le temps, tout de suite. Ce qui est anormal, c’est l’absence de connexion, pas la connexion. Dans le monde actuel, Google est notre ami.
Il n’y aura bientôt même plus besoin de taper sur un clavier. La voix sera notre interface pour accéder à l’Internet. Elle l’est déjà en partie grâce à Google Now, Siri, Cortana. L’autonomie ne passe plus par la connaissance des URL, des serveurs, du code. Est-ce une atteinte à nos libertés ? Notre environnement numérique devient de plus en plus intelligent, communicant, cohérent. Nous n’avons pas seulement un accès à l’Internet, nous avons des assistants. Google Now sait nous dire quand partir pour être à l’heure à un rendez-vous, nous dit quand il y a un accident sur l’autoroute, nous dit qu’il va neiger… et demain nous dira peut-être qu’il faut absolument parler avec cette personne. Plus l’Internet se développe, plus les services essayent de simplifier nos interactions avec eux, en langage naturel, moins il est nécessaire de mémoriser.
Mais l’erreur serait de croire que nous sommes arrivés à une sorte de fin de l’histoire. Ce n’est pas terminé. Des services actuels vont encore mourir, être abandonnés, être remplacés. L’Internet des Objets n’en est qu’à ses débuts. Lorsque des voitures autonomes nous conduiront, dans quelques années, on se demandera pourquoi on a pris du temps pour apprendre à faire un créneau.
Nous sommes dans un monde où l’information est rare, moins rare de que hier, mais plus rare que demain. Et quand je veux dire « demain », c’est réellement demain !
Cette semaine, deux étudiantes étaient surprises que j’utilise nombre de services web, réseaux sociaux. Dans deux ans, on leur dira sans doute la même chose, et je l’espère.